Mais qui est Margrethe Vestager ?

Cette Danoise de 48 ans est devenue l’une des personnalités de l’Union européenne les plus influentes dans le monde. La raison : celle qui ne se réclame d’aucune famille politique mais affirme sa volonté de lutter contre la « loi de la jungle » s’attaque sans relâche aux multinationales qui ne respectent pas toujours à la lettre les règles de la concurrence européenne.

Connue pour son humour, sa simplicité et son courage politique, cette commissaire d’un nouveau genre fait agréablement tache à Bruxelles. Loin de passer inaperçue, elle est devenue depuis 2014 l’un des personnages européens les plus médiatisés, mais aussi l’une des figures les plus incontournables de l’Union européenne. Après s’être attaquée à Google pour abus de position dominante, elle réclame aujourd’hui à Apple 13 milliards d’arriérés d’impôts en Irlande. Alors quand il a fallu choisir un sujet pour ce Barbarie dédiée aux Femmes de l’Europe, elle m’a paru toute désignée !

Une carrière politique sans faute

Fille de deux pasteurs luthériens et diplômée en Economie à l’université de Copenhague, Margrethe Vestager a un parcours politique qui force l’admiration : première femme ministre de son pays, première femme leader de son parti politique, Radikale Venstre, le parti social-libéral danois. Avant de devenir, au sein de la Commission Juncker, Commissaire chargée de la Concurrence, sujet emblématique mais délicat en Europe, elle était Vice-Premier Ministre du Danemark et Ministre en charge de l’Economie et de l’Intérieur.

Loin d’être une débutante, Margrethe Vestager avait déjà prouvé qu’elle n’avait pas froid aux yeux ! En 2000, par exemple, Margrethe Vestager et son parti politique avaient fait campagne en faveur de l’Euro. Au lendemain de la victoire du NON au Danemark, Margrethe Vestager n’a pas retourné sa veste. Elle est restée fidèle à ses convictions et son parti est finalement devenu le parti le plus pro-européen d’un Danemark où les eurosceptiques sont de plus en plus nombreux.

Elle a tellement fait forte impression dans son pays d’origine qu’on dit qu’elle aurait inspiré Birgitte Nyborg, l’héroïne de la série danoise à succès Borgen, qui conte l’envers de la politique danoise et le périple d’une femme jusqu’au poste de Premier Ministre…

La femme qui fait trembler Apple, Google, Gazprom et bien d’autres

Après une longue enquête, la Commission européenne – et donc Margrethe Vestager – a accusé Google, le 20 avril dernier, d’avoir abusé de sa position dominante et d’avoir privilégié ses propres services, notamment via son moteur de recherche, Google Search. A peu près à la même époque, elle a accusé Gazprom d’abuser de sa position pour conclure des contrats d’approvisionnement considérés par la Commission comme léonins. Elle avait déjà déclaré illégaux les accords fiscaux très avantageux obtenus par Starbucks aux Pays-Bas mais aussi par Fiat au Luxembourg – preuve qu’elle s’attaque aussi aux entreprises européennes qui ne respectent pas les règles européennes.

Loin de chômer, Margrethe Vestager fait donc preuve d’un volontarisme et d’un courage politique que l’on associe rarement directement aux Commissaires européens. Car, à Bruxelles, l’arme la plus puissante des sociétés pour défendre leurs intérêts, c’est le lobbying et l’argent qu’elles dépensent pour accroître leur influence auprès des institutions européennes. Par exemple, les dépenses de « lobbying direct » de Google ont doublé pendant l’enquête qui le concernait, dépassant les 3,5 millions d’euros. Et cette somme n’inclut pas les moyens que Google consacrait à sa défense contre l’accusation de la Commission, moyens sur lesquels le géant de la technologie n’est pas tenu de communiquer.

Il est parfois difficile de faire face aux forces et techniques des lobbyistes bruxellois mais aussi de résister à l’influence de ces multinationales. L’ancien Commissaire européen à la Concurrence, Joaquin Alumnia, était bien plus enclin à la négociation que Vestager et a failli signer plusieurs fois des accords à l’amiable avec Google. Seulement, dans un domaine aussi sensible que la concurrence, les accords à l’amiable n’envoient pas toujours les bons signaux et peuvent brouiller une situation déjà compliquée. Malgré ses conséquences politiques parfois lourdes, une décision formelle permet au contraire de savoir ce qui est de droit, et donc de créer une jurisprudence européenne, qui ne sera d’ailleurs pas utile qu’aux Européens.

En effet, Margrethe Vestager n’est pas la première à enquêter sur Google ; la Federal Trade Commission, qui correspondrait à l’Agence de la concurrence européenne, avait elle aussi commencé une enquête similaire sans jamais pouvoir la mener à termes. Si les multinationales ne paient pas ou peu d’impôts en Europe quand elles installent leur siège dans des paradis fiscaux ou quand elles bénéficient de traitements fiscaux particulièrement préférentiels, elles ne paient pas non plus d’impôts aux Etats-Unis, même si c’est leur pays d’origine…

Sa dernière victime en date : Apple. Fin août, la Commission européenne a exigé d’Apple 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôts en Irlande. En effet, sur les conclusions d’une enquête ouverte en juin 2014, Bruxelles a estimé que l’avantage fiscal négocié par l’entreprise à la pomme est une « pratique illégale au regard des règles de l’UE en matière d’aides d’Etat », c’est-à-dire qu’Apple aurait bénéficié des aides d’État illégales, lui donnant un « avantage sélectif » sur ses concurrents. Si Apple a nié avoir joui d’un traitement fiscal préférentiel et a déjà fait appel de la décision européenne, il semblerait que le taux d’imposition de l’entreprise californienne ne fut que de 2% entre 1991 et 2007. Simple précision de comparaison, le taux moyen d’imposition des sociétés en Irlande est de 12,5%, et c’est un des taux les plus généraux… L’Irlande, qui a également fait appel, reste quant à elle terriblement dépendante des entreprises étrangères qui s’installent sur son sol en raison de sa fiscalité avantageuse : elles sont une source de recettes fiscales mais aussi d’emploi dont elle ne peut pas se passer.

Margrethe Vestager ne compte cependant pas s’arrêter là : elle a déjà ouvert une enquête sur les avantages fiscaux octroyés à Amazon au Luxembourg.

Fair lady

Si la Wonder Woman de la Concurrence s’attaque aux grandes entreprises, sa personne ou ses méthodes n’ont jamais été attaquées publiquement, même par Google qui a d’ores et déjà contesté publiquement le raisonnement de la Commission.

La raison est simple : si Margrethe Vestager veut contraindre les géants économiques à respecter les règles de la concurrence en vigueur en Europe, elle ne se place pas comme une justicière de la concurrence. Elle est connue pour sa rigueur, son pragmatisme et sa prudence : elle sait que ses accusations, quand elles ne sont pas suffisamment fondées, peuvent avoir des conséquences désastreuses pour les sociétés accusées d’abus. Elle a donc toujours fait attention à ne pas couper sans raison valable les ailes des entreprises devenues trop puissantes… Elle cherche simplement à assurer pour chacun une juste chance (« fair chance ») sur le marché européen.

Depuis les LuxLeaks, les révélations sur les accords fiscaux très avantageux pour les multinationales au Luxembourg, les traitements préférentiels en termes de fiscalité, souvent qualifiés d’aide publique illégale, sont sous haute surveillance à Bruxelles. La concurrence est donc un domaine très exposé où chaque action entraine des conséquences. Margrethe Vestager marche donc sur des œufs, et certains attendent qu’elle trébuche. Si elle se montre particulièrement sévère avec Google ou Apple, un déluge de reproches venant de Washington s’abattra sur elle et sur l’Europe. Inversement, si elle se montre trop souple et accommodante, on lui reprochera de ne pas avoir tenu ses promesses…

Pourtant la Concurrence et sa régulation sont un domaine où les décisions impopulaires sont inévitables et où les sanctions peuvent aussi bien toucher des entreprises européennes, parfois fragiles, que des entreprises étrangères.

Margrethe Vestager semble cependant avoir conquis Bruxelles et réussi à imposer son rythme et son ton sur la scène internationale. Fan de tricot – il lui arrive même de confectionner ses éléphants, célèbres dans tout Bruxelles, en réunion lorsqu’elle ne prend pas la parole -, elle assume son individualité jusque sur Twitter où ses 130 000 followers peuvent suivre son actualité politique mais aussi ses dernières lectures ou ses hobbies. Car celle qui a déménagé à Bruxelles avec son mari, professeur de mathématiques, et ses deux filles, relève avec brio et simplicité le défi des femmes actives d’aujourd’hui : concilier carrière professionnelle et vie familiale, tout en gardant un peu de temps pour soi.

Cette Commissaire atypique est-elle en train de réenchanter l’Europe ? De prouver qu’avec un peu de courage et de volonté, Bruxelles peut donner le ton, être un précurseur dans un monde économique en pleine mutation ? Il est un peu tôt pour le dire. Mais on peut se demander, ce que Margrethe Vestager, devenue incontournable sur les scènes danoises, internationales et européennes, décidera de faire en 2019, et quelles conséquences ses décisions auront pour l’Europe.

Marie-Hélène PANTALÉO

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