Le 28 mai dernier, le rendez-vous français le plus glamour de l’année s’est achevé, emportant avec lui ses paillettes et son tapis rouge. Entre un conservateur de musée qui collectionne les erreurs, une victime vengeresse du terrorisme et un chirurgien qui doit donner la mort, les figures centrales des films récompensés pour cette 70ème édition du Festival de Cannes sont celles d’un monde plongé dans le chaos et de destruction. Retour sur la remise des prix.
Un palmarès plombant
Plan Vigipirate et risque d’attentats oblige, toute la zone proche du Palais des Festivals était quadrillée, ce qui a donné un goût bizarre à la compétition. Si les films de la sélection officielle étaient anxiogènes, le palmarès a achevé de plomber l’ambiance.
La Palme d’Or, attribuée au Suédois Ruben Östlund pour The Square, présente l’histoire de Christian, conservateur d’un musée d’art contemporain préparant une exposition sur la tolérance et la solidarité envers les plus démunis. Il se heurte toutefois à ses propres limites lorsqu’on lui vole son portefeuille et que son univers bascule. Il sombre alors dans une grave crise existentielle qui a des répercussions sur sa vie personnelle et qui révèle sa lâcheté.
Cette comédie satirique n’était pourtant pas le choix de Pedro Almodovar, qui présidait le jury du Festival. Son coeur a battu pour 120 battements par minute, du Français Robin Campillo. « Moi j’ai adoré ce film, je n’aurais pas pu l’adorer plus que ça! » a-t-il déclaré à la fin du Festival.
Ce film, a mi-chemin entre le documentaire, montre les coulisses d’Act Up Paris, une association luttant contre le sida. Il fait la part belle aux histoires d’amour ainsi qu’à l’activisme bien mené de ses bénévoles, qui se démenaient pour faire entendre leur voix à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore.
Robin Campillo s’est entouré de Philippe Mangeot, président d’Act Up de 1997 à 1998 pour le scénario.
Diane Kruger quant à elle, remporte le Prix d’interprétation féminine pour son rôle dans In the Fade du réalisateur germano-turc Fatih Akin. L’actrice jouait le rôle d’une femme allemande qui cherche à venger la mort de son mari et de son fils, tués dans un attentat perpétré par des néo-nazis.
Polémique sur la Croisette
Le Festival de Cannes n’a cependant pas échappé à une polémique qui a terni quelques peu l’image glamour qui s’en dégage d’ordinaire. Dès son ouverture, 2 films produits par Netflix –Ojka de Bon Joon-Ho et The Meyerowitz stories de Noah Baumbach – sont sortis directement sur le service de VOD, alors que la règle veut que les films présentés à Cannes sortent d’abord dans les salles avant d’être disponibles en streaming.
Dans une tentative d’éteindre l’incendie, Thierry Frémeaux, délégué général du festival avait demandé à Netflix de sortir ses 2 films en salle, ce à quoi la firme américaine avait répondu non.
En effet, Netflix réserve la priorité de la diffusion de ces deux films à ses abonnés, rejetant la chronologie des médias en vigueur en France, qui lui imposerait, en cas de sortie en salles, d’attendre 36 mois avant de pouvoir les exploiter sur sa plateforme. Cette règle impose d’attendre 4 mois minimum entre la sortie d’un film en salle et sa sortie en DVD. De plus, ce même film devra patienter 2 ans pour être diffusé en clair à la TV et 3 pour être disponible sur un site de VOD. Si Netflix veut sortir ces 2 films dès le mois de juin partout dans le monde, c’est avant tout pour bénéficier de « l’effet Cannes ».
Sur les célèbres marches du Festival, nombreux sont les cinéphiles qui s’agacent. Richard Patry, président de la fédération des cinémas français, avait déclaré : « Un film, c’est fait au départ pour la salle de cinéma, pour ce lieu magique où on s’enferme avec des gens qu’on ne connait pas et où on vit ensemble une expérience collective. Venir à Cannes, c’est respecter cette règle ». Il avait durci le ton devant la réaction de la plateforme de streaming : « Netflix est un passager clandestin du Festival de Cannes. Il ne met pas un centime dans la création en France ni dans le monde. C’est scandaleux! »
Pour cette année, le Festival a fait le dos rond, car il était impossible de retirer ces deux films après leur nomination. Mais dès l’année prochaine, les producteurs et réalisateurs devront s’engager à sortir leur film en salles, pour pouvoir proposer leur candidature au comité de sélection.
Pour les dirigeants de la plateforme, c’est aux festivals de cinéma de changer leur point de vue. Les spectateurs changent, et nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas attendre la sortie en salle pour savourer un bon film, d’autant que le prix du billet peut parfois s’envoler. Claude Lelouch a même déclaré que cette régulation, qui découle directement de l’exception française , lui apparaissait « dépassée ».
Chloé LOURENÇO