Après Federico Garcia Lorca la semaine dernière, Voix d’Europe vous propose de [re]découvrir l’oeuvre d’un poète espagnol.
« La poésie est parole dans le temps. – AntonioMACHADO
Né le 26 juillet 1875 à Séville en Andalousie, Antonio Machado est le meilleur représentant de la célèbre « Génération de 98 » espagnole. Cette génération d’écrivain est déterminée à renouveler la vie culturelle du pays et à la revitaliser. Effectivement, cela fait écho au contexte politique du moment : l’Espagne perd ses dernières colonies en 1898 et se rend compte qu’elle n’est plus celle qu’elle a été au Siècle d’Or. Machado mélangera la rêverie mélancolique à l’inspiration terrienne faisant de ses poèmes de véritables odes aux champs et aux couleurs chaudes de sa Castille chérie. ¡Vamos!
La famille Machado, originaire d’Andalousie, arrive à Madrid en 1883. Durant trois ans, et avec l’encouragement de ses professeurs, Antonio se découvrit une passion pour la littérature. Il perdit son père en 1893, alors qu’il n’avait que 17 ans. Il fit plusieurs métiers, dont celui d’acteur. En 1899, il se rendit à Paris avec son frère, qui avait obtenu un emploi de traducteur à la maison Garnier. Il entra alors en contact avec les poètes Jean Moréas et Paul Fort, et d’autres figures de la littérature contemporaine, dont Rubén Darío et Oscar Wilde. Ces rencontres confortèrent Machado dans sa décision de devenir lui-même poète.
Premiers poèmes, succès garanti
En 1901, il publia ses premiers poèmes, dans le journal littéraire Electra. Son premier livre de poésies fut publié en 1903 sous le titre Soledades. Une nouvelle édition complétée paraîtra en 1907 sous le titre Soledades. Galerías. Otros Poemas. La même année, Machado se vit offrir une place de professeur de français à Soria. Il y rencontra Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se maria en 1909. Il avait 34 ans et Leonor 15 seulement. Le couple se rendit de nouveau à Paris en 1911. Pendant l’été cependant, Leonor, atteinte de tuberculose, dut retourner en Espagne où elle mourut le , quelques semaines après la publication de Campos de Castilla. Très affecté, Machado quitta Soria pour ne jamais y retourner. Il alla vivre à Baeza, dans la province de Jaén, en Andalousie, où il resta jusqu’en 1919.
Il n’avait pas le charisme flamboyant de ses contemporains (Lorca, Alberti, Neruda,…). Plus âgé, il restait enclos dans ce personnage de petit provincial obscur, de professeur anonyme, qui n’osait pas devenir tribun. Ses livres majeurs – Solitudes en 1903 à l’âge de 28 ans, Champs de Castille en 1912-, ses écrits philosophiques (Juan de Maureina), ses pièces de théâtre laissent son empreinte profonde sur la terre d’Espagne. Il en est le chantre, de son devenir et de son passé. Il semblait noué à sa terre, avec des passions obscures que seules les pierres connaissent encore.
Entre 1919 et 1931, Machado est professeur de français à Ségovie, plus proche de Madrid, où habitait son frère. Les deux frères se rencontrent régulièrement et collaborent dans de nombreuses pièces de théâtre à succès. Le poète et son frère, dont il était très proche, vivent alors leurs derniers moments de cohésion familiale. La vie paisible à laquelle Machado aspirait sera détruite par la guerre civile espagnole, en 1936.
Campagne
Le soir meurt
comme un humble foyer qui s’éteint.
Là-bas, sur les montagnes,
il reste quelques braises.
Et cet arbre brisé sur le chemin tout blanc
fait pleurer de pitié.
Deux branches sur le tronc blessé, et une
feuille fanée et noire sur chaque branche !
Tu pleures ?… Entre les peupliers d’or,
au loin, l’ombre de l’amour t’attend.
– Antonio MACHADO, Champs de Castille
Ecartèlement pendant la guerre civile
La douleur et la guerre l’auront écartelé, coupé de ses sources vives. Écartelé, il le fut entre son frère Manuel tant aimé, qui devint un fervent franquiste, et ses propres valeurs morales qui en firent un poète républicain aux poings serrés. Lui, l’écrivain adulé et consacré, avait placé son engagement sans faille dans la guerre civile, alors qu’il aurait pu fuir facilement à Paris ou ailleurs. De ses déchirures et blessures, il fit une oeuvre de vie.
Lorsqu’éclata la Guerre civile d’Espagne, en juillet 1936, Antonio Machado était à Madrid. Il se trouva séparé pour toujours de son frère, qui se trouvait en zone nationaliste. Il mit sa plume au service du parti républicain.
Machado et sa mère se réfugie d’abord en Andalousie, puis à Valence et enfin à Barcelone, se pensant définitivement à l’abri. Pourtant, lorsque la chute de la capitale catalane devint inéluctable, il se mit en route pour la France à travers les Pyrénées, sa mère sous son bras. Il arrive à Port-Bou le 27 janvier 1939, puis est convoyé vers Cerbère puis Collioure. Le 22 février 1939, à bout de forces, il se laisse mourir dans une chambre d’hôtel de la ville, si loin du Duero qu’il avait tant aimé et tant décrit. Sa mère, ivre de chagrin, mourra quelques jours plus tard.
Reconnaissance hispanique bien méritée
Il faut savoir l’amour intense que les Espagnols de l’exil portent à Machado et qui nous est masqué par des poètes plus flamboyants et plus diffusés. Il est l’image même de l’exil et de la tolérance. Lui qui ne connut l’exil réel que quelques jours pour en mourir, mais qui aura vécu l’exil intérieur toute sa vie. Sa tombe à Collioure avec sa bouche d’ombres en forme de boîte à lettres est ouverte à toutes les interrogations, toutes les questions. Elle est devenue une sorte de phare qui attire tous ceux qui ont en eux la mélancolie de l’exil, ou qui un jour ont entendu quelques bribes des paroles de Machado. Et toutes les lettres glissées trouvent un jour réponse !
De nos jours Machado représente l’Espagne enfin réconciliée, il en était le dépositaire et il en avait pressenti le devenir hélas commercial : « Je pense à l’Espagne, tout entière vendue / de fleuve en fleuve, de montagne en montagne / de l’une à l’autre mer… ». Il aura aussi ces paroles : « Un pays est toujours une entreprise d’avenir, un arc tendu vers le lendemain ».
Pour lui rendre hommage, Louis Aragon composera ce poème en 1960 :
« Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d’Espagne
Que le ciel pour lui se fit lourdIl s’assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours.
– Louis ARAGON
Chloé LOURENÇO