Relancé il y a un an par un tweet de l’actrice américaine Alyssa Milano, le phénomène #MeToo a su s’étendre outre-Atlantique. La campagne a généré une vague de conscience et de libéralisation de la parole sur le harcèlement sexuel et les violences faites aux femmes. Cependant, l’impact n’a pas été le même dans tous les pays d’Europe, du Nord au Sud comme d’Est en Ouest.
La parole se libère
Dans quelques pays d’Europe, se sont mis en place les équivalents nationaux du hashtag américain et les voix se sont élevées.
En France, #BalanceTonPorc créé par Sandra Muller a suscité une vague de dénonciations sur la toile. La campagne n’est, certes, pas passée inaperçue, mais pas toujours pour les bonnes raisons : cela a été mal reçu par beaucoup de Français. On octroie à la France, encore aujourd’hui, le fait d’être le pays de la séduction et de la galanterie. D’une part, ce vieux dicton a suscité l’indignation envers l’équivalent français de #MeToo, trop peu démonstratif de cette « classe » à la française. D’autre part, cela a donné raison aux discours reac’ dénotant une forme de puritanisme, comme l’a fermement défendu la tribune de Catherine Deneuve quelques jours plus tard. Le « droit d’importuner » des hommes ne devrait pas être la cible d’une campagne perçue comme féministe radicale anti-hommes. La campagne a été faussement actée par certains esprits français comme étant une menace à la liberté sexuelle, à la séduction, la drague ou même au sexe. La société française a répondu fortement à l’appel mais s’est retrouvée néanmoins divisée sur la question.
En Suède, le mouvement a eu un impact sans précédent avec la publication de plus de 60 000 témoignages de femmes à l’automne 2017. Le pays a été particulièrement secoué à la suite de l’affaire Jean Arnault, époux d’une célèbre figure de la poésie et de l’académie suédoise. Il a en effet écopé d’une peine de deux ans de prison pour viol commis en 2011. Sa réputation entachée, la Suède n’a pas pu décerner le Prix Nobel de Littérature 2018, qui a dû être reporté d’une année.
En Espagne, un équivalent est aussi apparu : #YoTambién. Bien que #MeToo n’ait pas été essentiellement l’élément déclencheur des manifestations massives dans les grandes villes espagnoles, le mouvement a bénéficié d’un réel soutien dans les mois qui ont suivi. Le viol collectif en 2016 d’une jeune femme pendant les célébrations de Pampelune par un groupe d’amis auto-proclamé « La Manada » (la meute), et en 2018 la condamnation des coupables pour abus sexuels et non pour viol, a engendré des cris de protestation à travers le pays, dénonçant une impunité trop importante des agresseurs. Le 8 mars 2018, l’Espagne a été autant un symbole national qu’un exemple sur la scène internationale avec la journée internationale des droits des femmes.
Au Royaume-Uni, les dénonciations de cas de harcèlement sexuel ont été faites jusqu’aux portes du Gouvernement. Le Ministre Michael Fallon a dû quitter son poste de Secrétaire de la Défense après avoir été accusé d’avoir eu des « comportements inappropriés » envers plusieurs femmes. #MeToo a également été utilisé par la députée travailliste Stella Creasy où elle soutient que la honte devrait être sur les agresseurs et non sur elle.
En Italie, la journaliste Julia Blasi a lancé à son tour le mot-dièse #quellavoltache (« ce moment quand ») qui appelle les femmes à raconter des faits vécus longs ou courts ; des propos ou des gestes déplacés, des agressions ou des viols.
Des pays presque indifférents au mouvement
D’autres pays européens n’ont presque pas été impactés par la campagne, notamment dans les Balkans et l’Europe de l’Est. Étonnamment, c’est également le cas de l’Allemagne. Bien qu’il y ait eu un équivalent #Aufshrei (« le cri d’alarme ») 5 ans plus tôt après qu’une journaliste a été victime de propos déplacés de la part d’un politique allemand et quelques dénonciations de viol, d’agressions sexuelles et de harcèlement sexuel, ces cas sont restés tout de même assez isolés. Malgré tout, les plaintes ont augmenté depuis 2017 mais les Allemands ont une tendance culturelle à éviter les dénonciations en public qui généreraient des conflits.
Certes, différents critères techniques, sociologiques et culturels sont à prendre en compte pour comprendre pourquoi un pays est plus à même d’avoir plus ou moins de cas d’agressions sexuelles ou de cas de harcèlement sexuel. Une carte de la Fondation européenne des Droits Fondamentaux montre les pays européens où les cas de harcèlement sexuel sont les plus présents. Certains pays de l’Est, comme la Pologne, l’Autriche ou la Roumanie, montrent les taux les plus bas. Or, cela ne révèle pas forcément la réalité. Les causes peuvent être diverses : une peur des représailles, un manque de protection à cause d’une législature trop faible envers les coupables, ou encore une différence de perception d’un même acte entre deux femmes de pays différents. Selon une étude de YouGov en octobre 2017, une femme danoise réagirait plus sévèrement à une blague sexuelle de la part d’un homme qu’une femme britannique.
Au niveau sociétal, #MeToo a changé considérablement l’attitude publique envers les différents types de violences faites aux femmes de manière générale. Cependant, pour la véritable réussite d’un mouvement sur le long terme, il est nécessaire d’avoir un appui juridique. Quelques pays mentionnés ont connu des progrès législatifs concernant la protection des victimes d’agressions ou de harcèlement sexuel.
Les répercussions politiques de #MeToo
En France, le Président de la République Emmanuel Macron en a fait une de ses lignes directrices, épaulé par la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. La loi prévoit désormais une sanction sous forme d’amende ou de peine d’emprisonnement selon la gravité de l’acte (pour les actes de harcèlement de rue).
En Suède, le 1er juillet 2018, a été votée une loi sur le consentement. La Suède est alors le dixième pays d’Europe à reconnaître explicitement le non-consentement d’un rapport comme un viol. La loi inclut également deux nouvelles offenses : le viol par négligence et l’abus sexuel par négligence, avec une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 4 ans.
En Espagne, sous le nouveau gouvernement socialiste, dirigé par Pedro Sanchez, une modification de la loi se discute à propos du consentement, qui se positionnerait sur la nouvelle loi suédoise.
Enfin, le 25 octobre 2017, le Parlement européen avait convoqué une séance plénière, assez vide, pour débattre sur les violences et le harcèlement sexuels qui touchent une femme sur deux dans l’Union européenne. Néanmoins, cette séance a aussi été organisée pour discuter des accusations recueillies par le site d’information Politico.eu au sein des institutions européennes. Le Parlement avait entamé une enquête en interne à travers son « comité de lutte contre le harcèlement » mais trop peu de femmes sont au courant d’un tel comité au sein du Parlement. Le lendemain, les eurodéputés votaient un audit externe et « des mesures pour lutter contre le faible taux de signalement ».
Les enjeux d’un tel mouvement
En somme, l’impact a évidemment été plus fort en Europe de l’Ouest aussi bien en matière de conséquences dans la vie réelle qu’aux niveaux politique et législatif. Pourquoi les répercussions n’ont pas eu le même poids dans tous les pays d’Europe ? On discutait d’une probable question culturelle plus tôt, mais cela justifierait-il vraiment une hétérogénéité de la libéralisation de la parole des femmes ?
Les violences faites aux femmes ne seraient-elles qu’un trait culturel comme un autre, propre à chaque pays ? La lutte contre ces violences ne dépendrait-t-elle que de la perception subjective, tant sociétale que politique, de ce qu’une femme « peut » subir ou non ? Cela ne devrait pas l’être.
En définitive, si elle a eu un impact plus ou moins concret, la campagne #MeToo a surtout suscité une prise de conscience internationale. Elle a montré à quel point cela touchait toutes les femmes de tous les pays et que cette question qui nous concerne tous est une problématique à laquelle chaque pays devrait s’atteler. L’égalité entre les femmes et les hommes passe irrémédiablement par là aussi : à quoi bon réussir à atteindre l’égalité des salaires si un des sexes reste menacé par l’autre, dans la sphère publique comme privée ?
Sarah Besson Vigo
Cet article a été publié dans le cadre du partenariat avec le journal Barbarie – Made in Europe du Master Affaires Européennes de la Sorbonne.