Si l’on pense aux personnages qui représentent le Portugal, Amalia Rodrigues est sans doute à la tête de cette liste. Surnommée la « Reine du Fado », Amalia est la chanteuse qui a le plus popularisé le Fado dans le monde en enregistrant plus de 170 disques dans sa vie. Cette reconnaissance l’ont rendue une des plus importantes ambassadrices culturelles du pays et sa voix restera à jamais gravée dans l’histoire de la musique.
Une enfance dans la pauvreté
Amalia da Piedade Rebordão Rodrigues naît en juillet 1920 à Pena (petite ville près de Lisbonne), cinquième enfant d’une famille pauvre. Sa passion pour la musique lui vient de son père cordonnier qui jouait de la trompette pour la fanfare de Fundao. Au début, Amalia ne chantait que pour son grand-père et c’est à l’âge de 9 ans qu’elle chante pour la première fois en public lors d’une fête de son école. A l’âge de 12 ans, elle a dû, comme la plupart des enfants portugais à l’époque, quitter l’école pour aider financièrement la famille en trouvant un travail qu’elle obtient dans une entreprise d’emballage de gâteaux. C’est durant cette période difficile de transition qu’elle essaye de se donner la mort en buvant une décoction de tête d’allumettes.
A 15 ans, lorsqu’elle est en train de vendre des fruits et légumes avec une de ses sœurs à Lisbonne, elle se fait remarquer par un chasseur de talents et participe au défilé populaire d’Alcântara. L’entraineur du défilé est tellement marqué par la voix de la jeune Amalia qu’il lui propose de l’inscrire à un concours de nouveaux talents le Concurso de Primavera (Concours de Printemps) dans lequel on attribue le titre de Rainha do Fado dos barrios (Reine du fado des quartiers).
Ce concours sera un tournant pour Amalia car elle se fera remarquer par un spectateur qui la recommandera à Jorge Soriano, à l’époque directeur de la Casa do Fado (Maison du Fado). Mais c’est également durant ce concours qu’elle rencontrera son premier mari, Francisco Da Cruz, guitariste avec qui elle se mariera en 1940. Ce moment d’idylle est cassé par le refus de sa famille de lui faire intégrer la prestigieuse maison du fado auquel se cumulera l’échec de son mariage qui aura duré moins de deux ans. Elle essayera de se donner la mort encore deux fois.
Le visage du Fado dans le monde
La carrière d’Amalia commence officiellement en 1939 lorsqu’elle interprète de nombreux textes du compositeur Joaquim José de Lima de la maison du fado, accompagné par des fadistes reconnus comme Armandinho et Jaime Santos. Elle le fera cependant sous le nom d’Amalia Rebordão. Cela la rend tête d’affiche et est considérée comme fadiste professionnelle. Sa popularité à Lisbonne grandit chaque jour et surtout durant la Seconde Guerre Mondiale ce qui lui permet de chanter dans les plus grands clubs de la capitale comme le Solar da Alegria et le Café Luso. Elle fait désormais partie des grands du fado.
Sa carrière internationale commence en 1942 lorsqu’elle est invitée à jouer à Madrid par l’ambassadeur portugais. C’est à ce moment là qu’elle développe sa passion pour la musique espagnole plus particulièrement le flamenco. En 1944, elle arrive à Rio de Janeiro où, accompagnée par le maitre guitariste Fernando Freitas, elle est invitée à chanter au Casino Copacabana le plus grand casino d’Amérique du Sud. Et ce qui devait être un contrat de quatre semaines est prolongé de quatre mois dû au grand succès. C’est à ce moment là qu’elle enregistre une série de disques 78 tours pour Continental Records. En 1949, elle chante pour la première fois à Paris et à Londres, deux ans plus tard elle débarque en Angola, au Mozambique et au Congo. Les États-Unis et le Mexique ont le plaisir de l’écouter pour la première fois en 1952. 1955 est un tournant dans sa carrière lorsqu’elle joue dans Les Amants du Tage d’Henri Verneuil qui la propulse au rang de vedette internationale. La même année, elle se rend à nouveau au Mexique mais cette fois-ci pour jouer aux côtés de l’autre grande diva de l’époque, Edith Piaf, dans le film Musica de Siempre.
En France, Amalia a vite atteint une grande popularité et en 1956 elle jouera pour la première fois à l’Olympia. Suivront l’ABC et Bobino où elle chantera en français Aïe mourir pour toi de Charles Aznavour. Son passage en France sera le fond musical de la vague d’immigration portugaise. En 1959, le magazine américain Variety la désigne comme quatrième plus grande chanteuse du monde.
En 1962 elle rencontre la personne qui changera sa carrière jusqu’à la fin de ses jours, le compositeur français Alain Oulman qui lui permettra de chanter des poèmes qui a priori n’étaient pas adaptés au fado classique. En 1967 elle reçoit le prix MIDEM attribué au chanteur qui a réalisé le plus de vente de disques dans son pays. Ce prix lui est attribué à nouveau en 1968 et 1969 (exploit réussi seulement par les Beatles). L’apogée de sa carrière arrive avec le morceau Com que Voz, écrite par Oulman et tiré par de nombreuses maisons de disques.
Ses liens avec le fascisme seule tâche de sa carrière
La fin de la dictature de Salazar est une période un peu compliquée pour la fadiste qui durant un concert donné à Lisbonne, quelques jours après l’abolition de la dictature et le rétablissement de la démocratie, se voit traitée de fasciste, d’alliance avec Salazar et surtout des accusations de collaborations avec le régime. En effet, Amalia a écrit un poème au dictateur lorsque celui-ci était souffrant, geste mal vu par le peuple. Ces critiques toucheront tellement profondément la chanteuse qu’elle arrêtera sa carrière pendant onze ans. Cela la mènera à des problèmes financiers qui l’obligeront à se défaire d’une partie de son patrimoine.
Elle publiera un album inédit en 1980 et retournera sur scène en 1985, mais les moments difficiles ne sont clairement pas oubliés car en 1986, lorsqu’elle se trouve à New York, elle essaiera à nouveau de suicider.
L’impact culturel d’Amalia peut se traduire par le nombre de distinctions qu’elle a reçues notamment en 1970 et 1985 lorsqu’elle est nommée chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres et commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres par la France. Elle est également décorée de l’ordre d’Isabelle la Catholique en 1968 par l’Espagne. Elle se voit remettre par le Portugal, l’ordre de Sant’Iago de l’Épée, Grade de Chevalier, en 1958 puis en 1970 le grade d’official et enfin en 1990 elle est promue Grande Croix et ensuite elle reçoit l’ordre de l’Infant Dom Henrique (grade de grand official) en 1980.
Après soixante ans de carrière, elle fait ses adieux à la scène et prend sa retraite en 1994 lors des festivités pour la nomination de Lisbonne comme capitale européenne de la culture.
Amália Rodrigues meurt le à l’âge de soixante-dix-neuf ans, des suites d’une maladie du cœur, laissant tout un pays dans le désarroi. Le président de la République portugaise de l’époque, Jorge Sampaio, décrète un deuil national de trois jours. Des centaines de milliers de Lisboètes descendent dans les rues durant les funérailles, pour lui offrir un dernier hommage. Quelques heures après le décès de la chanteuse, un journaliste portugais décrit ainsi l’ambiance générale : « C’est trop de douleur pour un si petit pays ».
La vie et le succès d’Amalia sont le miroir de la vie de nombreux portugais et c’est peut être ça le secret de son succès. Ce désarroi et cette tristesse qui l’ont accompagnée depuis son plus jeune âge, et qui se traduisaient parfois en tentatives de suicide, la rendaient humaine aux yeux des personnes qui l’écoutaient car, par sa voix, elle arrivait à transmettre toutes ces émotions et toucher les âmes de qui l’écoutait. Amalia reste un des personnage portugais les plus appréciés dans le monde et sa voix mélancolique encore aujourd’hui nous accompagne.