Quelques jours après les annonces faites par Emmanuel Macron sur les mesures prises pour répondre à la colère française concrétisée par le mouvement des gilets jaunes, le mouvement en question a énoncé son intention de présenter une liste aux élections européennes. A cela s’ajoute le coût des mesures qui obligera à revoir les prévisions du déficit à la hausse, ce qui pourra se révéler lourd de conséquences pour le gouvernement au niveau européen. Entre colère populaire et renforcement de l’euroscepticisme, les gilets jaunes troublent à leur manière le jeu politique européen…
C’était ce lundi 10 décembre, des millions de Français suivaient l’allocution télévisée du président de la République. Parmi eux, de très nombreux gilets jaunes sur les ronds-points de France, le regard fixé sur leurs smartphones pour connaître la réponse du président à leurs doléances économiques, fiscales et démocratiques. Et la réponse ne s’est pas plus faite attendre : 100 euros d’augmentation du SMIC à compter de 2019, défiscalisation des heures supplémentaires, prime de fin d’année défiscalisée, hausse de la CSG annulée pour les retraites de moins de 2000 euros… Bref tout un ensemble de mesures destinées à répondre à l’ire du peuple français initiée par l’augmentation de la taxe sur les produits énergétiques (TICPE). Cout total de ces mesures : entre 8 et 10 milliards d’euros selon le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin.
Conséquence directe de ces nouveaux coûts : le déficit public qui passera de 2,8% à environ 3,5% d’ici la fin 2019, selon les prévisions les plus pessimistes. La France dépasserait donc la règle européenne des 3%, quelques mois seulement après la sortie de la procédure de déficit excessif qu’avait engagée Bruxelles depuis plusieurs années. Comment la Commission européenne a-t-elle réagi face à ce « revirement budgétaire » français ? De manière étonnamment compréhensive : l’écart serait accepté, mais « de manière limitée, temporaire, exceptionnelle » selon le Commissaire aux affaires économiques et financières Pierre Moscovici qui entend le caractère exceptionnel de la situation.
Reste que cette situation intervient dans un contexte extrêmement tendu sur le plan budgétaire avec l’Italie. En effet, cette dernière a été sommée par la Commission de revoir son budget… à cause du non-respect de la règle des 3% !
« Je commence à en avoir marre de ce deux poids deux mesures » déclarait alors le premier ministre italien Matteo Salvini, s’alarmant de la liberté laissée à la France en matière budgétaire, en comparaison du contrôle drastique exercé sur l’Italie. Or, dans un contexte de montée des populismes qui a précisément mis en place l’actuel gouvernement italien, et dont le credo est le rejet d’une Europe technocratique, non élue et déconnectée des réalités, nous pouvons nous demander si les gilets jaunes n’ont pas indirectement exacerbé ce sentiment de « deux poids deux mesures » qui serait en fait issu d’un désaccord politique. Cela semble d’autant plus dangereux à quelques mois seulement des prochaines élections européennes.
Un bouleversement aux élections européennes ?
Les images ont fait le tour du monde : celles des gilets jaunes, non pas seulement en France, mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Bulgarie ou même en Serbie où un député a revêtu un gilet jaune dans son Parlement. Il semblerait qu’il y ait une sorte de convergence européenne des luttes, avec un arrière-goût de 1848…
Or selon certains membres du mouvement, les gilets jaunes seraient déterminés à présenter une liste aux élections européennes. « Nous sommes en train de nous organiser. Nous allons présenter une liste aux Européennes, nous avons envie d’investir le champ politique » déclarait le gilet jaune Hayk Shahignan le 10 décembre sur le plateau de France 2. Ainsi, d’une simple contestation sur l’augmentation des prix du carburants émergerait une force politique dont le rayon d’action s’étendrait bien au-delà des frontières nationales. Il resterait à déterminer des têtes de listes et un programme au niveau européen, toujours est-il que le jeu politique européen pourrait être considérablement bouleversé.
Reste à savoir à qui profiterait ce bouleversement. En effet, l’analyse de la sociologie du mouvement contestataire met clairement en évidence le fait que les votes perdus au profit de la liste « gilets jaunes » affecteraient grandement les partis extrêmes. Il y aurait donc une sorte d’«ubérisation des populismes» dont le grand vainqueur serait paradoxalement le pouvoir politique en place, soit l’actuel gouvernement.
En tout état de cause, le mouvement des gilets jaunes ne laissera pas le paysage politique européen indemne. Alors coup dur ou aubaine pour Emmanuel Macron ? Réponse du 23 au 26 mai prochain.

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat avec le journal Barbarie – Made in Europe du Master Affaires Européennes de la Sorbonne.
Gaspard WITKOWSKI, Barbarie – Made In Europe