Pionnière. Chirurgie esthétique. Féminisme. Voilà 3 mots qui pourraient déchirer Suzanne Noël. Cette fée, inconnue du grand public, aura pourtant révolutionné le monde de la chirurgie esthétique, poussée -une fois n’est pas coutume- par son mari. Voici l’histoire extraordinaire de Suzanne Noël.
Une fée révélée par la Première guerre mondiale
Suzanne Noël naît en 1878 à Lyon (Aisne) dans une famille bourgeoise. Après son premier mariage en 1897, elle déménage à Paris où elle entame en 1905 des études de médecine. Déjà son parcours sort de l’ordinaire. A une époque où les femmes sont enfermées dans leur foyer, elle est soutenue par son mari qui croit en elle.
Elle apprend la médecine aux côtés d’un certain Docteur Morestin, un crack de la chirurgie maxillo-faciale, à l’aube du XXème siècle. Une sommité parisienne que Sarah Bernardt vient consulter pour rajeunir, qu’Al Capone lui-même tentera de faire venir à Chicago pour effacer ses balafres. Morestin est un magicien de l’anatomie.
En 1916, la guerre gronde, la terre tremble et tue de nombreux soldats. Ceux qui ne sont pas morts reviennent du front dans un état déplorable : plus de bouche, plus de nez, plus qu’un oeil au milieu du visage. Une bouillie d’os et de chair. Une gueule explosé, une gueule fracassée. Des blessures qu’on ne sait pas soigner parce qu’elles sont inconnues.
Suzanne Noël va être la première médecin à réparer les visages. Pour recréer de la matière, la jeune femme greffe des peaux, des os. Elle rembourre les trous du visage avec des morceaux de cuir chevelu. Elle prend des bouts de ci, de là pour recréer des mentons, des oreilles ou des joues.
Elle se révélera extrêmement douée pour cela. Non seulement Suzanne Noël a des doigts de fées, mais elle possède une sorte d’inspiration artistique qui lui permet de créer une entièrement un visage, lorsque le défiguré n’a plus un seul trait humain. Elle fait des miracles avec peu de choses, des petits chefs d’oeuvres qui n’ont rien à voir avec les maigres essais de rafistolages que l’on voit aux quatre coins des rues.

Chirurgienne et féministe
Le destin ne sera pourtant pas reconnaissant envers Suzanne Noël. A la fin de la guerre, elle perd son premier mari. Au début des années 1920, sa petite fille, Jacqueline, est emportée par la grippe espagnole, et son deuxième mari se suicide, fou de chagrin. Contre cette tristesse-là, Suzanne Noël ne peut rien. Veuve, pleurant sa fille, elle s’implique entièrement dans la chirurgie esthétique. Elle en fait sa raison de vivre.
Les années folles sont là, les corps se libèrent, les corsets tombent. Installée dans son cabinet parisien, Suzanne Noël refait des nez, des seins, des cuisses, des fesses. Excellent couturière de la peau, elle va mettre au point les premiers liftings, invente des techniques révolutionnaires encore utilisées de nos jours (la liposuccion par exemple).
A force de manipuler et de transformer des corps de femmes, elle s’engage rapidement dans le combat féministe, en fondant le premier club de l’association américaine Soroptimist. Pour elle, la chirurgie esthétique est une action militante, un moyen de permettre aux femmes de s’émanciper. Elle redonnera un peu de jeunesse aux femmes jugées trop vieilles par la société en lissant leurs rides, pour leur permettre de retrouver un travail.
En 1928, elle reçoit la légion d’honneur pour sa contribution à la notoriété scientifique de la France sur la scène internationale.
Elle passera la Seconde guerre mondiale à « arianiser » les visages trop « sémites ». Elle modifie les visages des juifs ou des Résistants recherchés par la Gestapo. Elle effacera les séquelles physiques des déportés revenus des camps de concentration.
Dans les dernières années de sa vie, elle organisera de nombreuses conférences à travers le monde pour promouvoir ses idées.
Suzanne Noël meurt en 1954, à 76 ans. Une femme au service des autres. Une vie à recoudre de l’Humanité, là où il n’y en avait plus.
Chloé LOURENÇO