En 1950, la situation aux Etats-Unis en matière de ségrégation raciale était à son comble. Noirs Blancs vivaient ensemble, mais séparés. Althea Gibson a réussi a brisé, grâce à son énorme talent, toutes les barrières qu’elle pouvait trouver devant elle. Ceci n’a pas empêché qu’elle tombe dans l’oubli.
De la ferme de coton aux courts de tennis
Althea Gibson naît en 1927 en Caroline du Sud, dans une ferme de coton. Ses parents sont métayers, statut à peine au-dessus des esclaves. Alors qu’elle est encore bébé, sa famille déménage dans le quartier new-yorkais d’Harlem. Dès toute petite, elle montre de grandes aptitudes pour le sport : elle s’entraine à la boxe avec son père et joue également au basket et au padel . Elle affirme au début de sa carrière : « Tout a commencé quand on jouait au padel [sport de raquettes sur terrain plus petit que le tennis] dans la rue, sponsorisé par la Police Athletic League, avec deux raquettes et une balle en éponge, un petit court et un petit filet ». A 12 ans, elle gagne son premier tournoi et est repérée par Buddy Walson, grâce auquel elle rejoindra le Harlem’s Cosmopolitan Tennis Club. Deux militants des droits civiques, Hubert Eaton et Robert Johnson, repèrent Gibson lors d’une compétition réservée au Noirs et veulent en faire la première championne noire de tennis.

Entre 1947 et 1956, elle gagne dix compétitions réservées aux Noirs, mais elle est toujours interdite de jouer au tournoi de Forest Hills avec les Blancs.
La lutte pour jouer dans les tournois réservés au Blancs
Son envie de jouer à Forest Hills lui fera prendre la décision d’envoyer des lettres de candidature, sous la supervision de Eaton et Johnson. Celles-ci seront cependant toutes rejetées ou perdues. L’histoire change lorsqu’en 1950 la championne Alice Marble, 18 tournois de Grand Chelem gagnés, prend parti et écrit une lettre à l’American Lawn Tennis Magazine où elle affirme: « Si Althea Gibson représente un défi pour la génération actuelle de joueuses, il n’est que juste qu’elles relèvent ce défi. L’entrée des Noirs dans le tennis national est tout autant inévitable que cela est déjà arrivé dans le base-ball, le football ou dans la boxe. […] Je pense qu’il est temps de faire face aux faits. Si le tennis est un jeu pour les femmes et les hommes, je pense qu’il est temps que nous agissions un peu plus comme des gens décents et moins comme des moralisateurs hypocrites».

La lettre aura l’effet espéré et un mois plus tard, Althea pourra prendre parti au tournoi de Forest Hills. Son premier match sera contre la grande favorite Louise Brough. Des insultes racistes pourront être entendue sur le court, mais elle arrive tout de même à mener le jeu peu avant l’interruption du match pour cause d’orage. A la reprise du match le lendemain, elle n’arrive cependant pas à remporter le match ce qui n’empêche pas le début de sa carrière.
Une championne oubliée
Althea Gibson fut la première femme noire à remporter un titre du Grand Chelem à Roland Garros en 1956, puis à Wimbledon et aux internationaux des Etats-Unis (Forest Hills) l’année suivante. Le trophée londonien lui sera remis par la reine Elizabeth II qui assistait à l’époque à sa première compétition. En tout, entre 1956 et 1958 elle remporte cinq tournois du Grand Chelem (nombre qui arrive à onze si on compte les tournois en double). Malgré cette carrière importante, elle est très peu reconnue pour ses exploits. Un tournoi senior en Croatie, un petit gymnase du 12ème arrondissement et quelques prix à titre honorifique étaient les seuls célébrations de cette championne. Ceci a changé le 26 août dernier.

A l’ouverture du tournoi de l’US Open, une statue a été inaugurée à l’effigie d’Althea Gibson au centre national de tennis Billie Jean King devant le stade Arthur Ashe à New York. Angela Buxton, amie et partenaire de Gibson, a affirmé à The Undefeated: « Je pense que pour plus de 50 % des gens, ça sera une révélation, parce que dans mon pays [l’Angleterre], ils ne s’en souviennent pas du tout. Elle a accompli un grand travail pour améliorer la place des Noirs. Même avec les deux parades triomphales qui ont eu lieu en son honneur, elle n’était toujours pas autorisée à aller dans un hôtel où les Blancs dormaient ni de boire dans une fontaine où les Blancs buvaient, mais elle a aidé à combattre cet état de fait.»
Serena Williams, première femme afro-américain à remporter un tournoi du Grand Chelem depuis Gibson, a rendu hommage à cette pionnière en 2016 lors du tournoi de Roland Garros: « Althea m’a donné du bonheur et la fierté d’être noire. (…) Elle a été pionnière pour tout le tennis, pas seulement le tennis féminin. ».
Cette pionnière a désormais l’hommage qu’elle mérite sur les courts du tournoi qu’elle a tant lutté pour y participer.
Natacha Da Rocha