Le Conseil des ministres franco-allemand de Toulouse de la semaine dernière était la première rencontre de ce type depuis la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, censé compléter et européaniser le traité de l’Elysée. Comment ce moment d’apparente communion entre Emmanuel Macron et Angela Merkel peut-il cacher les dissensions actuelles ?
C’est au siège d’Airbus à Toulouse, symbole de la coopération industrielle réussie entre français et allemands, que le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel ont posé, entouré de nombreux employés du groupe, pour la photo qui devait symboliser l’entente franco-allemande. La ville rose a accueilli le 16 octobre dernier le Conseil des ministres franco-allemand, une rencontre entre quasiment tous les membres des deux gouvernements instituée en 2003 par Jacques Chirac et Gerhard Schröder à l’occasion du quarantième anniversaire de la signature du traité de l’Elysée.
La rencontre de Toulouse était également la première depuis la signature du traité d’Aix-la-Chapelle. Ce texte, signé le 22 janvier dernier pour les 56 ans du traité de l’Elysée, doit compléter et européaniser ce dernier, et non pas le remplacer comme on pourrait parfois l’entendre dans le débat public. Le traité d’Aix-la-Chapelle a également suscité son lot de controverses côté français. Ainsi, la fachosphère amatrice de fake news a abondamment relayé des rumeurs selon lesquelles la France abandonnerait son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU ou que notre pays allait céder l’Alsace-lorraine à l’Allemagne (sic).
Une nouvelle relation franco-allemande…
Le traité d’Aix-la-Chapelle envisage une nouvelle relation entre la France et l’Allemagne, déjà très forte, en insistant sur la « convergence » des modèles de société. Ainsi, le traité est divisé en plusieurs domaines de coopération : les affaires européennes (articles 1 et 2), la paix, la sécurité et le développement (articles 3 à 8), la culture, l’enseignement, la recherche et la mobilité (articles 9 à 12), la coopération régionale et transfrontalière (articles 13 à 17) et le développement durable, le climat, l’environnement et les affaires économiques. Si les termes du traité restent relativement larges, le Conseil des ministres franco-allemand est chargé de le concrétiser en établissant un programme pluriannuel de projets franco-allemands.
Le Conseil de la semaine dernière a donc adopté, entre autres, la déclaration franco-allemande de Toulouse, un texte rappelant l’engagement de la France et de l’Allemagne à renforcer l’Union européenne. Les deux pays soutiennent en effet les orientations politiques de la nouvelle présidente de la Commission Ursula Von der Leyen, notamment en ce qui concerne le Green Deal, censé permettre à l’UE d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, mais également les orientations économiques renforçant à terme le bloc face à la concurrence internationale.
… entravée par les désaccords ?
Depuis son élection en mai 2017, Emmanuel Macron n’a eu de cesse d’invoquer la relation avec le partenaire et l’ami d’outre Rhin comme une priorité de sa politique européenne. Le Conseil des ministres commun de juillet 2017, la déclaration de Meseberg un an plus tard, puis la signature du traité d’Aix-la-Chapelle en début d’année a montré la volonté de Paris et de Berlin de promouvoir une « Union européenne plus forte et plus efficace ». Cependant, le couple franco-allemand est caractérisé depuis plusieurs années par une « asynchronisation » s’agissant des affaires européennes : si Angela Merkel ne semble pas en mesure de donner suite à toutes les propositions européennes d’Emmanuel Macron, les différents présidents français auparavant étaient dans la même position vis-à-vis de leurs homologues allemands, en particulier dans les années 2000. Reste à savoir si la fin de mandat d’Angela Merkel sera plus propice aux avancées après une première partie minée par la faiblesse de la grande coalition gouvernementale et les mauvais résultats électoraux, locaux comme européens.
Les deux leaders avaient de plus rendez-vous le lendemain du Conseil des ministres à Bruxelles pour un Conseil européen marqué par les atermoiements du Brexit et les discussions sur la possibilité d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Sur ce dernier dossier, le Président Macron s’est opposé à l’ouverture des négociations avec les deux pays balkaniques, déclenchant l’incompréhension de l’Allemagne. Le refus de la candidature de Sylvie Goulard à la Commission européenne avait auparavant tendu les relations entre le Président français et Ursula Von der Leyen.
Alors qu’Emmanuel Macron souhaite des réformes rapides au niveau européen, Angela Merkel souhaite préserver la stabilité du continent en avançant prudemment. C’est peut-être cette différence de perception de temps politique qui risque de complexifier durablement les rapports France-Allemagne, ce que le traité d’Aix-la-Chapelle et le Conseil des ministres franco-allemand de Toulouse ont précisément tenté d’éviter.
Théo BOUCART