Brexit : un événement délétère perturbant

Les citoyens britanniques sont appelés aux urnes jeudi12 décembre à l’occasion d’élections législatives anticipées. Trois ans après le référendum du Brexit, ce scrutin s’annonce décisif pour l’avenir des relations du Royaume-Uni avec l’Union européenne. En attendant l’issue de ce vote sous haute tension, retour sur l’histoire singulière de la participation britannique au projet européen. 

Lorsque les citoyens britanniques votent en faveur du «leave» en juin 2016, ce n’est pas la première fois qu’ils ont à se prononcer sur la question du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE). Seulement deux ans après son entrée au sein de la Communauté économique européenne (CEE), le Royaume-Uni nous donnait un avant-goût des événements futurs avec un premier référendum sur le maintien de son adhésion. 

Royaume-Uni et Union européenne : récit d’une histoire alambiquée 

En 1957, l’ancêtre de l’Union européenne, la Communauté économique européenne (CEE), était créée par six membres fondateurs, sans le Royaume-Uni. Trois ans plus tard, en 1960, le Royaume-Uni instituait avec la Norvège, le Danemark, la Suisse, le Portugal, l’Autriche l’Association européenne de libre-échange (AELE). Le but était alors de mettre en place une simple zone de libre-échange afin de contrebalancer les projets de la CEE qui se fondait elle sur une union douanière, un marché commun et des politiques communes. Pourtant, au fil des années et face à l’échec relatif de l’AELE, la plupart de ses membres ont adhéré à la CEE-UE : le Danemark, le Portugal, l’Autriche et même… le Royaume-Uni, non pas sans peine. 

C’est en effet à deux reprises, en 1961 puis en 1967 que les Britanniques ont posé leur candidature à la CEE, en vain. Par deux fois, le général de Gaulle posait son veto à leur adhésion. Il aura fallu attendre 1972 et l’arrivée au pouvoir du Président Pompidou pour que la France accepte enfin d’ouvrir la voie à l’accession du Royaume-Uni qui deviendra membre en 1973. 

Pourtant, comme venant confirmer les craintes du Général de Gaulle, le Royaume-Uni ne tarda pas à montrer des signes de défiances envers l’organisation européenne. Deux ans à peine après son entrée, un premier référendum sur son statut de membre est organisé. Si une large majorité des électeurs britanniques s’était alors prononcée en faveur d’un «remain», cette large adhésion ne présageait en rien une relation de confiance entre le Royaume-Uni et l’institution européenne. 

En 1979, la Première ministre britannique, Margaret Thatcher, entrait en conflit avec la CEE. Elle réclamait un rabais sur la participation de son pays au budget communautaire en scandant le célèbre : «I want my money back», ayant conduit au fameux « rabais britannique ». Et ce n’était que le début des revendications singulières des britanniques. En 1985, Thatcher refusait de participer à l’espace Schengen. En 1992, les Britanniques posaient une clause «d’opting out» dans le Traité de Maastricht s’agissant de la monnaie unique, et de même concernant la « charte sociale européenne ». En 1994, en tant que grand réfractaire à une intégration croissante, le Royaume-Uni posait son veto à la nomination du belge Jean-Luc Dehaene à la tête de la Commission, jugé trop « fédéraliste ». 

Malgré ces dérogations et l’inauguration du tunnel sous la Manche le 6 mai 1994 par Thatcher et Mitterrand, la singularité britannique n’a pas su, ou n’a pas voulu, s’amalgamer à un ensemble européen plus vaste : le pays rêve toujours du grand large et de jouer une partition singulière. 

Référendum du 23 juin 2016 : le début de la fin ? 

Le 23 janvier 2013, cédant à l’aile eurosceptique du parti conservateur, le Premier ministre David Cameron annonçait l’organisation d’un référendum sur le maintien ou non du pays au sein de l’UE. 

Opposé à un Brexit, c’est plein d’espoirs que le Premier ministre britannique obtenait le 18 et 19 février des arrangements du Conseil européen afin de calmer les eurosceptiques et de gagner son référendum. Suppression dans les Traités de la mention « une Union sans cesse plus étroite », création d’un mécanisme de sauvegarde permettant de limiter de manière « graduée » les prestations sociales aux travailleurs de l’Union nouvellement arrivés… les annonces phares de cet accord étaient nombreuses, mais ne suffirent pas. 

En effet, le 23 juin 2016, 51,9% des Britanniques votaient en faveur du Brexit. Ce vote, qui entraînera la démission du Premier ministre, reflète alors d’importantes fractures sociales et territoriales : l’Ecosse, l’Irlande, Gibraltar, et Londres s’étaient en effet prononcés en faveur d’un maintien dans l’UE. 

Le 13 juillet 2016, Theresa May succède à David Cameron, et le 29 mars 2017, elle déclencha (enfin !) la procédure de l’article 50 du Traité de Lisbonne qui précise que « Tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union ». 

Début juin 2017, afin de s’assurer d’un fort soutien des parlementaires britanniques à quelques jours du début des négociations sur la sortie du Royaume-Uni avec l’UE, Theresa May convoqua des élections législatives anticipées. Malheureusement, elle n’obtint pas la majorité absolue qu’elle recherchait. Au contraire, le parti conservateur perdit une vingtaine de sièges au profit notamment des travaillistes. Theresa May est alors contrainte à des négociations avec un parti ultra-conservateur nord-irlandais pour obtenir les 10 voix qui lui manquent afin de former une majorité… 

De longues négociations de sortie 

Le point noir des négociations avec Bruxelles aura été, dès les débuts la question de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du nord. En décembre 2017, alors qu’un accord semble trouvé avec le Royaume-Uni, y compris sur la question irlandaise, le Parlement britannique impose à Theresa May un quasi droit de veto sur l’accord final avec l’UE. 

En mai 2018, c’est le parlement écossais qui rejette la loi dite de retrait de l’UE par 93 voix contre 30. 

Alors qu’un nouvel accord entre le gouvernement britannique et l’UE est trouvé pour une sortie du Royaume-Uni fin mars 2019, Theresa May se voit contrainte de reporter à plusieurs reprises le vote du Parlement britannique, faute de trouver un terrain d’entente au sein de son propre parti et donc non sûre d’obtenir une majorité lors du vote. Or, en cas de non-accord, le Royaume- Uni aurait pu devenir un pays tiers de l’Union le 29 mars 2019, sans accord, le délai de deux ans depuis la notification de départ arrivant à son terme. 

Le 15 janvier 2019, les craintes de Theresa May se concrétisaient alors que le Parlement britannique refusait, à une large majorité, d’entériner l’accord conclu par son gouvernement avec l’UE. Ce refus sera à nouveau formulé en février et en mars. C’est ainsi qu’à 9 jours de la date butoir de sortie du Royaume-Uni, avec ou sans accord, Theresa May est contrainte de demander une prolongation du délai de négociation au Conseil européen. 

En avril, c’est une prolongation jusqu’au 31 octobre qui est décidée, soit après les élections européennes. La confusion s’installe. Les Britanniques qui devaient quitter l’Union européenne incessamment sous peu doivent finalement élire de nouveaux députés européens, au même titre que les 27 autres Etats-membres. 

En mai, pour la 4ème fois, la Première ministre annonçait un nouveau vote sur l’accord de sortie conclu avec l’UE fin novembre. Face à l’échec, Theresa May présentait sa démission pour le 7 juin, ouvrant par la même occasion une course à sa succession au sein du parti conservateur. 

Un départ au 31 octobre 2019, quoi qu’il arrive : le cheval de bataille de Boris Johnson 

C’est Boris Johnson, partisan d’un Brexit dur qui était désigné chef du parti conservateur et devenait Premier ministre à la suite de Theresa May. Il promettait alors une sortie de l’UE quoi qu’il arrive le 31 octobre… Malheureusement ses ambitions se sont révélées vaines, la Chambre des communes comme la Chambre des Lords ayant contrecarré ses plans en adoptant un projet de loi visant à empêcher le Royaume-Uni de quitter l’UE sans accord le 31 octobre. 

Le 10 septembre, Boris Johnson suspendait alors autoritairement les travaux du Parlement. Quinze jours plus tard, la Cour Suprême du Royaume-Uni jugeait « nulle et non avenue » la suspension de la session parlementaire … un sévère revers pour Boris Johnson. 

Le 2 octobre, après une période de marasme irréaliste, Boris Johnson transmettait enfin à l’UE des propositions pour un nouvel accord. Celles-ci portaient essentiellement sur le «backstop». Le Premier ministre proposait alors que la frontière réglementaire entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord soit fixée en mer, avec un alignement de l’Irlande du Nord sur l’espace réglementaire européen mais un maintien dans l’Union douanière britannique ! 

C’est ainsi que le 17 octobre, un nouvel accord modifiant le «backstop» était conclu entre l’UE et le Royaume-Uni. Le Conseil européen donnait alors son feu vert à l’accord de sortie du Royaume-Uni de l’UE : le texte comprend une version révisée concernant l’Irlande du Nord ainsi qu’une version amendée de la déclaration politique annexée. 

Le 19 octobre, convoqués très exceptionnellement un samedi, les élus de la Chambre des Communes refusent de s’exprimer sur le nouvel accord. Par le vote d’un amendement du conservateur Olivier Letwin (voté par 322 voix contre 306), les députés demandaient du temps pour examiner le nouvel accord et exigeaient de voir le deal traduit dans un texte de loi article par article avant de se prononcer. 

Boris Johnson, dépité et mauvais joueur, envoyait alors plusieurs lettres à Bruxelles dont une – non signée- pour demander (sans le demander clairement) un nouveau report du Brexit et une autre lettre (beaucoup plus complète) pour indiquer pourquoi il n’était pas d’accord pour un nouveau report : comprenne qui pourra ! 

Le 22 octobre, la Chambre des Communes vote enfin positivement –pour la 1ère fois- par 329 voix contre 299 un texte de loi qui prévoit la transposition du divorce dans le droit britannique. 

Le feuilleton du Brexit continue… 

Mais dans la foulée, les élus refusaient en même temps le passage accéléré du texte sur le fond. Boris Johnson conditionnait alors, avec succès, le temps d’examen par la Chambre des Communes du texte de sortie de l’UE à la tenue d’élections qu’il fixe au 12 décembre. Le Conseil européen décidait lui –suite à la demande des britanniques- de reporter la sortie du Royaume-Uni de l’UE au 31 janvier 2020 ou plus tôt, si d’ici là, le Parlement britannique ratifie l’accord de sortie : il s’agit donc cette fois d’une « sortie flexible ». 

Reste à savoir si les élections législatives convoquées le 12 décembre permettront enfin de clarifier la situation politique. A quelques heures des résultats du scrutin, l’enjeu pour les conservateurs, placés en tête par les sondages, est de dégager une majorité et d’avaliser enfin l’accord conclu le 13 novembre 2018, légèrement modifié par le gouvernement Johnson en octobre 2019. 

… avec son lot d’anecdotes. 

Quelques soient les résultats, les Britanniques auront vécu une période très particulière de leur histoire, marquée par des rebondissements et événements incongrus. L’un des derniers en date : alors que le gouvernement britannique avait prévu pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE la fabrication de plusieurs millions de pièces commémoratives de 50 pences avec la mention : « Paix, prospérité et amitié avec toutes les nations » ainsi qu’avec l’indication de la date du 31 octobre, c’est raté : le Brexit étant repoussé les pièces seront broyés puis fondues ! 

Contribution d’un adhérent de la Maison de l’Europe de Paris, Centre d’Information Europe Direct, publié en partenariat avec Voix d’Europe le 11/12/2019. 

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