Le 15 décembre 2020, profitant de la majorité des deux tiers dont ils disposent au Parlement hongrois, les députés du Fidesz, le parti de Viktor Orbán, ont modifié la Constitution du pays pour inscrire dans la loi la notion traditionnelle de « genre » et interdire de facto aux couples homosexuels l’adoption d’un enfant.
L’identité par les chromosomes
L’un des amendements inscrit la notion de « genre » en définissant le sexe d’un individu tel qu’il est « déterminé par les chromosomes » et précise : « la mère est une femme, le père est un homme […] L’éducation est assurée conformément aux valeurs fondées sur l’identité constitutionnelle de la Hongrie et la culture chrétienne ». Le gouvernement justifie cet amendement par la nécessité de protéger les enfants « des nouvelles tendances idéologiques modernes du monde occidental […] qui menacent le droit des enfants à un développement sain ». Viktor Orbán et ses alliés considèrent donc que ces questions sont de l’ordre d’une idéologie et que « cette idéologie LGBT » risque de pervertir la jeunesse et la société tout entière. L’autre amendement interdit de facto l’adoption aux couples de même sexe, en autorisant seulement les couples mariés à adopter des enfants, ce qui exclut en pratique les homosexuels qui n’ont pas le droit de s’unir devant la loi en Hongrie.
Ces dispositions discriminatoires viennent s’ajouter à celles prisent en mai 2020, lorsque le gouvernement hongrois avait fait passer une loi interdisant le changement de sexe à l’état civil et sur les documents d’identité, des personnes transgenres et intersexes.
Cette évolution du droit, vient renforcer la stigmatisation que subit la communauté LGBT sur le terrain depuis de nombreuses années. Si la Hongrie n’a pas encore de « Zone anti-LGBT » comme en Pologne, la guerre culturelle contre cette communauté sévit. Certains restaurants se permettent d’afficher : « les homosexuels ne sont pas les bienvenus » ; et « beaucoup de jeunes se retrouvent dans des environnements hostiles avec un risque accru de violence, d’anxiété et de dépression » dénonce Vera Jourova, la commissaire européenne chargée de l’Égalité des genres.
Changement de cap dans la politique hongroise
Pourtant, dans les années 1960, la Hongrie avait été l’un des pays les plus progressistes de l’Europe postcommuniste en votant la dépénalisation de l’homosexualité et, dès 1996, bien avant la plupart des pays européens, elle avait reconnu l’union civile entre conjoints de même sexe. Depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orbán en 2010, les droits des homosexuels n’ont fait que régresser. La Hongrie ne reconnait plus, aujourd’hui, aucune forme d’union, même civile, pour les couples homosexuels.
Depuis son accession au pouvoir, le chef du gouvernement hongrois est passé d’un « libéralisme affiché » a une position clairement « illibérale » avec une pratique autoritaire et personnelle du pouvoir. Il a mis en place une oligarchie corrompue par l’argent aux postes clés de la politique, des médias, de l’université, de la justice et de la culture, et s’emploie à limiter l’exercice de la démocratie dans son pays. Différentes organisations internationales, telles que l’ONU ou le Conseil de l’Europe accusent régulièrement Victor Orbán et son gouvernement de bafouer l’indépendance de la justice ou l’État de droit, et la Hongrie a déjà été condamnée par la Cour de Justice de l’Union européenne pour le non-respect de ses engagements vis-à-vis du droit communautaire notamment en matière de politique migratoire. Cette attaque contre les droits LGBT au nom des « valeurs chrétiennes traditionnelles » est le dernier exemple en date de ce déni de démocratique.
Bras de fer avec l’Union européenne
À l’instar de son allié de circonstance, la Pologne, la Hongrie poursuit donc depuis quelques années, un chemin rétrograde qui l’éloigne des valeurs fondamentales de l’Union Européenne, et bafoue ouvertement l’article 2 du Traité de Lisbonne. Celui-ci prévoit, en effet, que les États membres s’engagent, à respecter l’État de droit, la liberté, l’égalité et à souscrire à des valeurs telles que la « tolérance », « l’égalité entre les hommes et les femmes » et la « non-discrimination ». Le droit de la famille est de la compétence de chaque État membre, cependant, lorsqu’un État de l’Union modifie son droit national, il doit respecter ses engagements vis-à-vis des valeurs et fondamentales de l’Union.
En réponse à ces attaques et dès son premier discours sur l’état de l’Union, en septembre 2020, la Présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen, s’est engagée à avancer sur cette question du respect des droits de la communauté LGBT. Le 12 novembre 2020, elle a présenté, avec la commissaire chargée de l’Égalité Helena Dalli, la stratégie de l’exécutif européen en faveur de l’égalité des LGBTQI (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes) au sein de l’Union. Cette stratégie propose une série d’actions ciblées pour lutter contre la discrimination, garantir leur sécurité et bâtir des sociétés inclusives. Elle proposait notamment, la condamnation des « thérapies de conversion » ou la reconnaissance mutuelle entre États membres, des droits parentaux acquis par les couples gays et lesbiens, d’un pays à l’autre.
De plus, les transgressions récurrentes de l’État de droit par Viktor Orbán posent depuis plusieurs années la question de l’appartenance du Fidesz au Parti Populaire Européen (PPE), premier groupe politique représenté au Parlement européen, qui rassemble les mouvements de droite classique, tels que la CDU allemande ou Les Républicains français. L’appartenance du Fidesz au PPE avait été suspendue en mars 2019 et ces dernières dispositions anti-LGBT auraient pu lui valoir l’expulsion définitive de ce groupe. Devançant son exclusion inévitable, le Fidesz a quitté de lui-même le PPE le 3 mars 2021.
Un eurodéputé hongrois, ouvertement anti-LGBT, surpris dans une fête libertine gay
Comble de l’hypocrisie dont fait preuve l’entourage d’Orbán, l’eurodéputé Jozsef Szájer, membre du Fidesz, qui a voté les amendements discriminatoires envers la communauté LGBT a été surpris, le 27 novembre 2020 en plein confinement, dans une soirée libertine gay clandestine à Bruxelles. Proche du président hongrois, figure de « l’ordre moral hongrois », il avait été l’architecte de la Constitution hongroise de 2012 qui sacralisait le mariage entre un homme et une femme au nom des « valeurs chrétiennes ». Cette affaire qui éclabousse le gouvernement d’Orbán a provoqué un tollé au sein de l’opposition et de la presse internationale.
Elle est d’autant plus scandaleuse qu’elle est survenue au moment même où Budapest et Varsovie paralysaient depuis de long mois, l’adoption du plan de relance européen lié à la crise du Covid-19, en opposant leur veto à un mécanisme visant à conditionner le versement du budget européen au respect de l’État de droit.
L’Union européenne s’est enfin doté d’une arme financière pour lutter contre les dérives des États membres qui bafouent ouvertement l’État de droit et les valeurs de l’Union. Cependant la Hongrie peut encore faire appel devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, retardant encore de plusieurs années l’application des sanctions. Si cette nouvelle disposition est une avancée non négligeable, elle ne constitue qu’une première étape et la question se pose de savoir comment l’Union Européenne peut se doter d’un mécanisme plus rapide et plus efficace pour lutter contre les dérives autoritaires et anti-démocratiques de certains de ses membres.

Lola MONFROY, rédactrice chez Courrier d’Europe