Alexandrie, chant d’amour et de chagrin

Tu t’es dit j’irai ailleurs, un autre pays,  Un nouveau rivage doit exister, une autre ville… Où mon regard se pose je ne vois que des ruines  Il n’y aura pas d’autres pays Tu chercheras en vain d’autres rivages La ville te poursuivra  Dans ces mêmes rues tu iras roder  Et tu vieilliras dans ces mêmes quartiers;  Tes cheveux blanchiront dans les mêmes maisons  Toutes les routes te ramèneront ici,  Dans cette même ville !

J’avoue que ces vers de poèmes de La Ville de Constantine Cavafis sont mélancoliques et même douloureuses, et j’ai hésité parce qu’il y a tant de poèmes, et des chansons gaies, ludiques et joyeuses sur Alexandrie, mais enfin j’ai choisi la ville qui désigne avec beaucoup de finesse le rapport sentimentale entre la ville et moi… c’est un rapport complexe, plein de perplexités et de chagrin, c’est presque un rapport amoureux d’une relation instable. Dans cet article je me permets de parler de mon histoire d’amour avec les lecteurs de La Regionisto (et Voix d’Europe)!

Aimer Alexandrie n’est pas vraiment un choix ! On ne l’a jamais classé comme une ville, même dans les références historiques on l’appelait en latin Ad Aegyptum (ce qui veut dire près de l’Egypte), c’est pour cela quand vous croisez un Alexandrin quelque part dans le monde et vous lui posez la question : Vous venez d’où ? La réponse est souvent : je viens d’Alexandrie ! Alexandrie pour tous les égyptiens c’est les vacances : l’été ; les plages ; les vendeurs de glace ; la grande bibliothèque ; les promenades ; les pâtisseries orientales ; les pizzas italiannas ; les cinémas partout ; les bâtiment montrant l’architecture du monde ; les anciens magasins ; le tram bleu ; le palais du roi Farouk ; les grecs ; les français ; les italiens ; les arméniens ; les syro-libanais ; les juifs de toutes origines ; les grandes places… bref les souvenirs d’enfance et de jeunesse ! J’avoue que cette description (surtout le mot souvenir) fait une ville du passé ? Oui tout à fait ! C’est la ville des contes ! La ville des mémoires… Alexandrie est aujourd’hui une ville à l’imparfait!

Pour mieux comprendre il faut aller à l’origine de la genèse de la ville … Alexandrie est le fruit d’une idée internationale d’Alexandre le Grand qui était influencé par Hérodote, qui a justifié les guerres par les lacunes de compréhension entre les nations ; ce qui est généré par les différences culturelles : le plus il y a des différences le plus simple les guerres démarrent. Par conséquence, le principe de la fondation d’Alexandrie a été la diversité culturelle. Le point de départ a été une garnison macédonienne, un peuple égyptien, et des immigrants grecs, mais le projet s’est cristallisé avec Ptolémée le disciple d’Alexandre, et le fondateur de la civilisation d’Alexandrie. Ptolémée et ses successeurs, ont comblé le rêve d’Alexandre, ils ont appliqué sa vision dans tous les champs ; Alexandrie est devenu le port commercial principal du monde, le centre du savoir et de culture, et le modèle urbain d’une ville idéale!

Puis pendant le 7ème siècle, les Arabes sont arrivés, et pendant douze siècles cette civilisation était longuement au sommeil! Jusqu’à la renaissance au 19ème siècle, où Mohamed Ali Pacha, fondateur de l’Égypte moderne qui a rouvert la ville pour tous ceux voulant joindre son aventure, a donné une priorité aux parvenants de l’autre rive de méditerranéen, et très vite la ville attire des grecs ; des italiens ; des juifs de toutes origines ; des arméniens ; des français ; des anglais ; des syro-libanais qui ont enrichi la ville et même le pays, il y avait même un style alexandrin de musique et de cuisine ! Le commerce a fleuri, la culture a prospérée, on a appelé le centre-ville la «place des consuls» parce que dans cette place il y avait les résidences ou les bureaux d’une vingtaine de diplomates ! Et Alexandrie reprend sa position et redevient la muse de Giuseppe Ungaretti, Lawrence Durrel, E.M. Forester et Naguib Mahfouz qui a décrit Alexandrie comme « rosée du matin, duvet de nuages blancs, croisement des rayons laves a l’eau du ciel, Cœur des souvenirs, trempes de miel de larmes ”… et le rêve d’Alexandre est ressuscité ! Jusqu’en 1952 où le nationalisme attaque le cosmopolitisme ! La ville devient moins accueillante ou peut être moins attirante, et petit à petit perd sa diversité, et la diversité c’est la beauté, et l’absence de la beauté c’est la laideur, aujourd’hui Alexandrie est entouré par plusieurs bidonville, dont 12% de sa population vit sous le seuil de la pauvreté…

C’est vrai que personnellement, j’ai eu la chance de connaitre les derniers feux de la belle époque, et on peut toujours voir des traces de l’ancien gloire de la ville ; vous pouvez vous offrir une vassilopita pour le jour de l’an de la pâtisserie Khamos, ou bien se prendre un cappuccino dans le café Délices, si vous baladez dans le rue Nabi Daniel vous pouvez voir à Gauche la synagogue Eliaho Hanavi, et la droite la cathédrale Saint Marc qui est à côté de la grande mosquée ! Et encore plus clairement : la ville a conservé les anciens noms cosmopolites de ses quartiers Stanley; Zizinia; San Stefano; Laurent; Glymonopolo… etc. mais “Mais rien ne ressemblait à ce qui a été” comme disait Robert Solé … Sont des traces! Aujourd’hui l’âme de la ville respire à peine! Et son corps reflète sa souffrance, et ceux qui sont fidèles à Alexandrie subissent un dilemme! On n’arrive pas à se détacher, à oublier, à arrêter de l’aimer, et même si nous éloignons de la ville, la ville nous poursuit!

Alors c’est à partir de là qu’on comprend que la diversité culturelle, la liberté, et la créativité sont la vocation de la ville, son élixir de jeunesse, et sa source de beauté ; à chaque fois la ville s’ouvre davantage sur le monde extérieur elle offre un paradigme de coexistence fructueux au monde, et à chaque fois elle se renferme elle perd son âme avant de perdre sa prospérité ! C’est ça l’histoire d’Alexandrie selon moi, c’est l’histoire d’un combat méditerranéen entre l’amour et la haine, la lumière et l’obscurité, la gloire et la chute, c’est un combat engendré de l’espoir qu’Alexandrie va rebâtir sa légende comme une fleur de lotus, la fleur sacrée de l’ancienne Égypte, qui continue à vivre et à exister même si l’eau est sale et puante, et qui peut rouvrir ses pétales et accueillir la lumière de l’aurore avec un beau sourire.

Anis Issa, rédactrice chez notre partenaire La Regionisto

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