Fémin’histoire #56 : Marie-Louise Gagneur

Militante féministe, anticléricale et pacifiste. Voilà comment présenter Marie-Louise Gagneur. Ecrivaine, elle écrit une vingtaine de romans et d’essais engagés. Ses livres cherchent à améliorer le sort des femmes et de la classe ouvrière, et sont des plaidoyers pour l’évolution des droits des femmes. Elle défend l’éducation des filles, milite pour le droit au divorce et lutte contre l’impunité des meurtres conjugaux. Et tout ça au XIXè siècle ! Aviez-vous déjà entendu parler d’elle ?

Etre une femme au XIXè, un sacerdoce

Parmi les nombreux auteurs qui résident dans les limbes littéraires, séjour des plumes oubliées, on trouve une auteure engagée, libre, fouriériste et pacifiste : Marie-Louise Gagneur. Etre une femme au XIXè siècle n’est pas une chose facile. Considérée comme mineure tout au long de sa vie, la femme au XIXè est systématiquement placée sous la tutelle des hommes, de son père d’abord, de son mari ensuite. Cette situation persiste même si la femme travaille, au même titre que son mari. Et pourtant, Marie-Louise Gagneur explique dès 1867 qu’il faut « assurer à la femme qui travaille, l’indépendance qu’elle gagne à la sueur de son front ».

Mais qui est donc cet OVNI de la littérature ?Marie-Louise Mignerot, fille de Claude Mignerot, notaire puis rentier, naît à Domblans dans le Jura, le 25 mai 1832. Elevée au couvent, elle en ressort avec une haine du milieu clérical qui marquera son oeuvre. A l’âge de 18 ans, elle fait publier un essai sur les associations ouvrières qui lui vaut l’intérêt du député et journaliste Wladimir Gagneur, qui deviendra son époux en 1855. Ce mari, la soutiendra tout au long de sa carrière littéraire.

C’est sous son nom marital qu’elle publie dorénavant ses écrits. Elle s’engage alors pour l’indépendance des femmes par le travail et plaide auprès de l’Académie française -déjà !- pour la féminisation des métiers. Cela lui vaudra d’être moquée par certains, comme Charles de Mazade : »les femmes « veulent-elles maintenant des noms spéciaux, le féminin d’écrivain, de confrère, d’auteur […] la carrière d’écrivain n’est pas celle de la femme. Il n’y a pas de jeune fille, de femme qui se destine à la carrière d’écrivain »

La plupart des récits de Marie-Louise Gagneur sont néanmoins publiés dans la presse bourgeoise, notamment Le Siècle, avant de paraître en volumes. Son engagement lui vaut quelques déboires. Parce qu’ils remettent en question l’ordre établi, certains de ses ouvrages sont interdits..

Lutte pour le droit de divorcer

Si la Révolution française met fin en 1792 à l’indissolubilité du mariage, la restauration de la monarchie s’accompagne du rétablissement du caractère indéfectible des liens matrimoniaux en 1816. Débats, pétitions, lettres et revendications échouent. En 1848, un projet de loi est même retiré en raison de son caractère jugé « non urgent ». Dès lors, hormis la mort, le seul remède à une mésunion, est un jugement devant le tribunal. Cette coûteuse procédure empêche tout remariage et donne au seul père des droits sur les enfants du couple.

Engagée sur ce point et militant pour un retour au droit de divorcer, Marie-Louise Gagneur prend la plume pour donner naissance à un roman de mœurs dans lequel le personnage n’est autre que le divorce lui-même. Les Forçats du mariage est publié en 1869.

Quelques années plus tard, elle s’attaque à une autre lutte en faisant éditer Les Droits du mari en 1875, roman dans lequel elle met en avant l’impunité des hommes lors des meurtres conjugaux. Selon elle, la littérature est une arme idéologique. Ses récits tiennent à la fois de l’étude sociologique et du pamphlet, engagés certes, mais argumentés.

Auteure reconnue… puis oubliée !

C’est peut-être pour ses raisons que Marie-Louise Gagneur était en son temps reconnue dans le monde littéraire. Une notice élogieuse lui et est consacrée dans Le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse en 1870. Le Figaro du 8 mars 1869 explique que « Madame Gagneur a un tour d’exprit sérieux, une élévation de pensée et de but, une foi profonde en certaines théories réformatrices qui lui interdisent toute frivolité littéraire« . Certains de ses romans furent même traduits dans les années 1870.

Cette écrivaine à succès, reconnue par l’intelligentsia de son temps, reste très moderne dans ses thématiques. Et pourtant, mystère : Marie-Louise Gagneur est totalement ignorée de nos jours ! Certes, ses livres ont un peu vieilli, mais pas forcément beaucoup plus que certains de ses confrères. Ses romans s’inscrivent certes dans le cadre idéologique de la fin du XIXè siècle, mais ses idées et ses sujets nous sont familiers : démocratie, liberté, égalité sociale et féminisme.

Marie-Louise Gagneur a été nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1901. Elle meurt en 1902.

Chloé LOURENCO

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